Simon Igel et les élèves du Lycée Agricole de Saint-Hilaire du Harcouët


Né en Pologne, Simon Igel a été arrêté à Saint-Etienne le jour de ses 16 ans. Il est déporté le 7 octobre 1943 à Auschwitz où ses parents et ses deux frères ont déjà été assassinés.

« Quatre jours avant la Rafle du Vel d’Hiv, toute ma famille a été arrêtée par un inspecteur et deux agents qui nous ont emmenés à pied jusqu’à la prison d’Auxerre. Ce fut la dernière fois où j’ai vu mes parents et mes deux frères aînés. J’ai en effet été relâché car les lois antisémites prévoyaient alors de n’arrêter les Juifs qu’à partir de 16 ans. On m’a placé dans un orphelinat dont j’ai réussi à m’enfuir pour rejoindre des amis de mes parents. Bien m’en a pris, car cinq jours plus tard, les enfants juifs séparés de leurs parents ont été recherchés pour être livrés aux nazis. C’est la police française qui faisait ce sale boulot. Il ne faut jamais oublier que Vichy a fait preuve d’un grande zèle pour satisfaire les nazis, allant même jusqu’à devancer leurs attentes.
Plus tard, avec l’aide d’un passeur que j’ai payé avec l’argent récupéré dans notre maison, j’ai réussi à rejoindre la zone libre. Un autre couple d’amis m’alors accueilli à Saint-Etienne.
Mais le 18 août 1943, jour anniversaire de mes 16 ans, j’ai été arrêté à cinq heures du matin par la Gestapo, probablement sur dénonciation. Le lendemain, j’ai été emmené à la prison du Fort Montluc à Lyon où a été incarcéré et torturé Jean Moulin.
Après avoir été transféré à Drancy, j’ai été déporté à Auschwitz le 7 octobre dans un train de marchandises. Nous étions 100 par wagon. Sur les 1 000 personnes ainsi entassées, seulement 29 hommes et deux femmes sont revenus. Vous devez ainsi savoir que sur les 76 000 Juifs convoyés depuis la France, 2 500 seulement ont survécu, soit environ 3% ! 

Simon Igel et son matricule de déporté.
A droite, c’était la mort
Au bout de trois jours, nous sommes arrivés à Auschwitz Birkenau. On nous a accueillis avec toute la gentillesse que vous pouvez imaginer : des coups, des cris, des aboiements incessants des chiens… C’était vraiment quelque chose d’infernal. On nous ordonné de descendre des wagons et de nous mettre en deux colonnes, les femmes et les enfants d’un côté, les hommes de l’autre. Des SS se trouvaient devant chaque colonne et, en quelques secondes, indiquaient à chacun d’aller se ranger à gauche ou à droite. Nous ne savions pas alors qu’ « à droite », cela signifiait la mort. Ceux qui étaient orientés dans cette direction partaient en effet directement à la chambre à gaz. C’était la « sélection ».
Quand je suis passé devant le SS, il a demandé à un interprète de de me demander mon âge. Instinctivement, j’ai répondu en allemand, langue apprise au cours de mon enfance à Vienne. Le «sélectionneur » (sic) a marqué un instant d’hésitation avant de me dire ceci que je n’ai jamais oublié : « Va à gauche, tu pourras faire garçon de course. »
Les homme « à gauche », nous avons été emmenés dans des camions au camp d’Auschwitz 3-Monowitz. Là, on nous a fait déshabiller et des déportés nous ont rasés tout le corps, c'est-à-dire y compris les parties les plus intimes. Ensuite, on m’a tatoué un numéro sur l’avant bras. Mon matricule était le 157 085. A partir de là, je suis devenu ce matricule. 

« Vous êtes là pour crever ! » 
Tous les déportés devaient savoir dire et comprendre leur matricule en Allemand. Car si vous ne répondiez pas à l’appel de votre matricule, vous risquiez des coups de toute sorte, voire d’être battu à mort. La vie ne tenait qu’à un fil.
Le Kapo qui nous avait « accueillis » nous avait prévenus : nous étions là pour travailler et pour, selon son expression : « crever ». A l’intérieur du camp, les nazis avaient délégué l’autorité à ces Kapos recrutés pour la plupart parmi les prisonniers de droit commun : des meurtriers, des escrocs... Ceux-ci ne connaissaient qu’un langage : la brutalité. Un jour j’ai reçu un violent coup de matraque pour avoir tenté de « chaparder » une pomme de terre. Ce coup a provoqué un abcès. J’ai été soigné par un chirurgien juif de Vienne, qui m’a trouvé une planque : je servais la soupe aux prisonniers « hospitalisés ». Ensuite, j’ai dû ramasser les morts tous les matins, les entasser dans une pièce, puis les charger sur un camion qui les emmenait à Birkenau pour les brûler. J’avais votre âge… Cela avait néanmoins un avantage car les morts ne mangent pas, mais comme leurs rations étaient prévues, je pouvais les récupérer et partager avec quelques copains.

La marche de la mort

La France avait été libérée, mais je l’ignorais. En fait, jusqu’à ma libération, je n’ai rien su du Débarquement ni des événements qui ont suivi. On a commencé à entendre des canons au loin : c’était les Russes qui approchaient. Et le 18 janvier 1945, après l’appel du matin, les SS nous ont mis sur les routes après nous avoir distribué double ration de pain. Nous avons marché deux jours, à raison de 35 kilomètres par jour, dans la neige par moins 20 degrés. Le premier jour, j’ai failli lâcher prise, et sans mon ami Sigi, je me serais laissé tomber, me condamnant à une mort certaine puisque les SS abattaient tous ceux qui n’en pouvaient plus.
Le troisième jour, on nous a fait monter dans des wagons à charbon à ciel ouvert où nous étions trop nombreux pour nous asseoir. Le train a fini par nous « lâcher » à Dora après que nous avons été refusés à Mauthausen déjà submergé. Quelques semaines plus tard, le 1er avril exactement, devant l’avancée des troupes alliées, on nous a transférés à Bergen Belsen. Là, pendant 15 jours, nous n'avons eu pour seule nourriture que de l'herbe et des betteraves pourries. Et puis le 15 avril à 15 heures, ce fut la joie indescriptible de voir arriver des jeeps de l'armée anglaise. Une autre vie allait pouvoir commencer. Mais, pour moi, tout était à reconstruire… »